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L'école
de
la
compassion

Dans un monde affaibli par les divisions et l’indifférence, mettre la compassion et la coopération au cœur de l’éducation devient prioritaire. Comment procéder ? Focus sur des initiatives inspirantes.
L'école de la compassion
Inspirations
Il y a une douzaine d’années, le moine bouddhiste Matthieu Ricard m’incita à rendre visite à l’un de ses amis, instituteur en Dordogne. Sa particularité ? Organiser des ateliers d’apprentissage des valeurs humaines. Qu’est-ce que le bonheur ? Peut-on vivre seul ? Comment coexister avec nos différences ? Après une minute de silence, la discussion commença. L’enseignant rappela l’objectif : argumenter pour construire collectivement un point de vue plus valable. Laissant les élèves avancer par eux-mêmes, les adultes n’intervinrent que pour clarifier, recentrer. « Ne vous laissez pas séduire par une idée, ne vous enfermez pas dans un raisonnement, rappelèrent-ils. Restez au niveau de l’expérience ! ».

L’initiative, alors, semblait confidentielle. Depuis, un mouvement de fond œuvre à faire reconnaître l’empathie et la capacité à coopérer comme des compétences à acquérir à l’école. « Il est de plus en plus crucial d’accompagner nos enfants dans la compréhension des enjeux éthiques, c’est-à-dire de quelle façon nos actions ont un impact, sur nous et sur les autres, sur le local et sur le global, à court et à long termes, rappelle François Taddei, biologiste spécialiste de l’évolution, fondateur et directeur du Centre de recherches interdisciplinaires (CRI), situé à Paris, dont l’un des objectifs est de réinventer l’apprentissage scolaire. Le monde change extraordinairement vite. Pour se préparer à l’inconnu, s’appuyer sur les connaissances d’hier et d’aujourd’hui ne suffit plus. » Sans brader l’acquisition des savoirs fondamentaux, les enfants doivent devenir des acteurs coopératifs, capables de s’interroger, de redéfinir les problèmes, d’inventer des solutions, de les mettre en œuvre et de partager leurs innovations.

Graines de citoyens : bâtisseurs de possibles
Lancé en 2013 par l’association SynLab, le programme Bâtisseurs de possibles s’inspire de l’initiative Design for Change, implantée dans trente-cinq pays auprès de 25 millions d’enfants de 8 à 13 ans. « Il les invite à observer le monde autour d’eux, y repérer un problème qui les touche, puis imaginer collectivement une solution à leur échelle et travailler par petits groupes à sa réalisation », explique Florence Rizzo, cofondatrice de SynLab. Pour soutenir les enseignants, l’association a développé des outils pédagogiques, des formations et des accompagnements personnalisés. Une classe a ainsi décidé, suite au témoignage d’un enfant, de travailler sur la maltraitance. Après avoir fait des recherches sur le sujet, les écoliers ont réalisé une campagne d’affichage pour mieux faire connaître le Numéro vert destiné aux mineurs en danger – ce qui les a amenés à réfléchir aux conditions de succès de leur démarche, à concevoir l’affiche, etc.

www.batisseursdepossibles.org


Enraciner le questionnement


Pour le chercheur, la meilleure façon d’intégrer une connaissance, mais aussi d’asseoir son estime de soi et des autres, serait pour les élèves de mener des projets, en partant de leurs propres questionnements et désirs d’engagement, soutenus et accompagnés par des mentors bienveillants. En Haïti, cette approche a valu à Guy Étienne, directeur du collège Catts Pressoir, le Global Teacher Prize, une distinction remise aux meilleurs enseignants du monde. Ses élèves ont notamment pour mission de réaliser, avec le soutien de leurs pairs, des projets alliant science et défis de société, matérialisant les notions théoriques apprises durant l’année, puis de les présenter lors d’un événement public. Expérimenté dans différents pays, le modèle éducatif du Centre d’investigation pour un développement éthique vise, lui, à ancrer une conscience de l’interconnexion. Rien à voir avec une leçon de morale : l’approche est empirique. « La première étape est d’amener les enfants à expérimenter leur intériorité, via des exercices de concentration et d’observation », explique Isabelle Combes, directrice de l’école Arborescences de Nogent-sur-Marne, partenaire du programme.

Regarder la flamme d’une bougie, suivre le flux de ses pensées, gouter des aliments les yeux bandés… Une fois acquise cette connexion à soi, le cap est mis sur la découverte de la subjectivité. « Prenons une tasse, propose Isabelle Combes. Je demande aux enfants de la regarder puis je l’enlève. Par le questionnement, je les amène à réaliser que selon leur angle de vue et leur histoire personnelle, tous n’en font pas surgir la même pensée. » La directrice d’école touche ainsi du doigt que « de tout ce que nous vivons, nous créons un objet mental qui nous est propre, et qu’il est impossible de connaître celui du voisin si on ne le lui demande pas ». L’apprentissage suivant est celui de l’interdépendance, « en commençant par interroger les conditions d’existence d’un phénomène », poursuit la directrice. Qu’a-t-il fallu pour qu’un paquet de mouchoirs se retrouve sur la table ? Une personne pour l’amener, une autre pour l’acheter, le distribuer, le fabriquer… Jusqu’à se rendre compte que tout est lié. « Grosso modo, il a fallu que le soleil brille pour qu’il atterrisse là ! », sourit Isabelle Combes. Les enfants travaillent ensuite sur la cocréation d’une œuvre et la perception, via des mises en situation, que leur comportement impacte celui des autres. En dernière année, ils testent leurs capacités à un niveau plus global, via des simulateurs qui les amènent à réagir sur des problèmes écologiques, sociaux ou idéologiques.

La voie des nuages : school in the cloud
Il y a dix-sept ans, Sugata Mitra, qui exerçait alors en tant que cadre dans une société de services et d’ingénierie en informatique, a laissé un ordinateur connecté à Internet, en accès libre, dans un bidonville de Delhi. Alors qu’ils n’y connaissaient rien, les enfants comprirent comment aller sur le Web, s’initièrent les uns les autres, s’en servirent pour apprendre l’anglais et consulter des sites. Répétée plusieurs fois, l’expérience fut toujours concluante. À l’heure où l’information est accessible sur Internet, l’enjeu, selon Sugata Mitra, aujourd’hui professeur de technologie éducative en Grande- Bretagne, est de soutenir l’apprentissage coopératif. Réunissez un petit groupe d’enfants, posez-leur une question qui stimule leur curiosité, puis laissez-les y répondre ensemble en utilisant le Web. Impliqués, obligés de s’organiser, ils cherchent et apprennent par eux-mêmes ; la leçon est ainsi mieux intégrée. Tout ce dont ils ont besoin, c’est d’encouragements. À cette fin, Sugata Mitra a mis en place un réseau d’enseignants à la retraite, régulièrement en contact online avec les écoliers.

www.theschoolinthecloud.org


Repenser la relation


Enthousiasmant… mais possible uniquement si l’adulte, lui aussi, bouscule ses pratiques. « Mes instituteurs se disent que si les écoliers bloquent, c’est qu’ils n’ont pas la bonne méthode, témoigne Isabelle Combes. La bienveillance induit cette capacité à se remettre en question. » Et à s’impliquer dans la relation, en portant une écoute attentive à l’enfant et à ses besoins profonds, puis en le soutenant dans sa capacité à se relier, à lui-même et aux autres – sans perdre sa place d’adulte référent, chargé de fournir le cadre. « Les enfants ne constituent pas un bloc monolithique sur lequel il suffit de déverser un savoir », confirme François Muller, membre du Département de la recherche et du développement, de l’innovation et de l’expérimentation du ministère de l’Éducation nationale, mais des individualités dont il faut trouver la clé.

Un professeur de lycée hôtelier, confronté à la difficulté de ses élèves a apprendre de longues listes de vins et de fromages, a ainsi eu l’idée de leur faire écrire et jouer des saynètes illustrant leur contenu. Ludique, créative, l’activité faisait appel à une façon d’apprendre plus vivante, coopérative et visuelle. Les lycéens se prirent au jeu, retinrent les noms, réussirent leurs examens et furent recrutés dans les plus grands établissements. « L’empathie dont a fait preuve cet enseignant montre l’importance de cette notion dans l’éducation », insiste François Muller. Tout compte : le cadre de travail, la manière dont le professeur se place dans la salle, la posture qu’il adopte pour regarder, écouter et échanger avec ses élèves… « Plus la relation dans le collectif sera riche et variée, plus le résultat sera bon », conclut-il.

Reste à diffuser ces initiatives : épauler les professeurs, leur permettre de se former, sensibiliser et impliquer les cadres de l’Éducation nationale, intégrer ces nouvelles approches dans le référentiel national, en tenir compte dans les critères d’évaluation des enseignants, intégrer au cursus des futurs maîtres des cours de pédagogie empathique… En octobre 2016, l’université Paris-Descartes lance un diplôme intitulé Acteur de la transition éducative, destiné à donner aux enseignants les moyens de créer l’école de demain, en intégrant des compétences basées non plus seulement sur le savoir, mais sur le savoir-faire et le savoir-être.

Classes vertes : le label éco-école
Imaginez une école construite avec des matériaux locaux, favorisant la ventilation et la lumière naturelles, fonctionnant en autonomie grâce à des énergies renouvelables, et où la quasi-totalité des aliments consommés à la cantine sont produits sur place, avec le concours des enfants, qui suivent des cours théoriques et des enseignements pratiques sur l’environnement. Située à Bali, cette école fait partie du réseau international des Green Schools. En France, ça bouge aussi : depuis dix ans, le label Éco-école, initié au Danemark, est attribué aux établissements scolaires qui mènent des initiatives écoresponsables, tout en favorisant l’éducation au développement durable. Un thème de travail annuel est choisi, en lien avec l’alimentation, la biodiversité, l’eau, l’énergie, les déchets, la solidarité ou la santé, puis les élèves montent et réalisent un projet, épaulés par la communauté éducative.

www.eco-ecole.org


À
propos

auteur

  • Réjane d' Espirac

    Autrice et réalisatrice
    Réjane d'Espirac collabore à Inexploré par la rédaction de reportages, de récits, d'entretiens, et la réalisation de documentaires. ...
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Inexploré n°32

Coopérer

dernière parution

Si le monde tel que nous le connaissons semble sur le point de se transformer, la nature nous montre que l’espèce humaine s’inscrit dans le grand cycle de l’évolution. Les crises actuelles nous mettent alors au défi de réintroduire plus de coopération et de compassion dans les différentes branches de notre société, afin d’espérer, un jour, vivre sous le signe de l’harmonie. Y êtes-vous prêt ?

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