Comment réagir face à la perte d’un être cher ? Julie Bertuccelli explore ce thème dans ses deux premiers films. La réalisatrice dévoile avec pudeur l’intimité de familles touchées par le deuil. Dans « L’arbre », une petite fille réagit à sa manière : elle croit entendre la voix de son père qu’elle pense réincarné dans un arbre majestueux.
Dans quel état d’esprit étiez-vous lorsque vous avez écrit ce film ?
Julie Bertuccelli : J’ai connu plusieurs deuils dans ma vie et notamment pendant l’écriture de
L’arbre, mon dernier film. Quand j’ai lu le livre,
L’arbre du père, et voulu l’adapter, mon mari était malade. Je ne pouvais pas, et je ne voulais pas croire qu’il pouvait mourir... et c’est ce qui est arrivé pendant l’écriture du scénario. Je n’en fais jamais vraiment la publicité. C’est une expérience très intime qui m’a confrontée à l’histoire que j’écrivais et celle-ci est devenue plus intense et forte pour moi. J’ai été aidée par ce film, et je l’ai enrichi et transformé en retour en y glissant des impressions, expériences et détails personnels. Avec heureusement une grande distance... L’arbre et les différentes réactions des personnages ont confirmé ce que j’ai vécu moi-même parallèlement : il n’existe pas qu’une seule et bonne manière de faire son deuil. C’est primordial dans nos rapports avec les autres.
L’attitude de votre fille a-t-elle été une source d’inspiration ?
Ma fille a prononcé une phrase magnifique lors des obsèques de son père. Nous étions tous à la maison après l’enterrement... Elle rigolait avec sa copine et lui a dit : « J’ai choisi d’être heureuse ». Je n’aurais jamais pu imaginer qu’elle dise cela et j’ai repris ces mots dans le film. Elle avait 6 ans. Toutes nos expériences et notre attitude face au drame sont le miroir de notre intimité et de notre esprit. Les bouddhistes connaissent cela mieux que nous depuis des siècles.
Comment réagiriez-vous si votre fille disait rentrer en contact avec son père ?
Je la laisserais vivre cette expérience. L’idée de pouvoir communiquer avec les esprits peut-elle nous aider ? Je me positionnerais d’un point de vue psychologique, en me demandant peut-être pourquoi elle a besoin d’entendre son père à ce moment-là de sa vie, en essayant de voir ce que cela révèle d’elle et comment je peux faire pour l’aider. Il y a un risque dans ces croyances car il faut bien réussir à se détacher pour vivre dans ce monde-ci. Il faut pouvoir faire son deuil. D’ailleurs, dans mon film, une fois que l’arbre est déraciné, la petite fille n’entend plus la voix de son père. On pourrait penser que ce dernier a « décidé » de tomber et de partir, pendant cette tempête, afin de les laisser enfin souffler, enfin vivre, car il se rend compte que sa présence est trop pesante.
Pourquoi l’approche du deuil et de la mort est un thème si important pour vous ?
Quand nous sommes confrontés à la mort, la vie prend un sens et un relief très forts et très différents. Comment vivre avec ces morts qui nous hantent, qui nous questionnent et qui nous manquent ? Le temps passant, les morts restent toujours là en nous et en pensée mais heureusement, ils nous laissent respirer et continuer à vivre. En même temps, on se sent parfois coupable d’arriver à ne pas y penser tous les jours... Tant que nous n’avons pas vécu de deuil, nous ne savons pas comment nous allons nous en sortir. La mort des autres est un reflet de notre propre questionnement sur la mort. Je trouve ces questions passionnantes. J’aime suivre la transformation des personnages suite à ce genre de drame, ne restant pas juste victime mais devenant créatif, par exemple en développant un imaginaire comme cette petite fille dans
L’arbre. Quand quelque chose de fort nous arrive, il faut « en profiter ». Cela fait partie des éléments qui construisent notre vie, qui nous rendent plus fort. Il y a des côtés positifs qu’il faut réussir à trouver, même si évidement la mort reste terriblement triste.
Vous avez tourné L’arbre en Australie, que vous a appris cette terre ?
Ce n’est pas pour rien que l’histoire du livre se déroule en Australie... J’imagine que son auteur, Judy Pascoe, a grandi entourée de ces questionnements autour de la vie et de la mort, dans un pays où les éléments et animaux sont si impressionnants et dangereux. Pour les aborigènes, les esprits sont présents dans la nature comme les plantes et les rivières. En tant que réalisatrice, je le vois d’une manière très poétique. J’essaie de le montrer dans le film à travers le personnage d’un petit garçon qui a un rapport très chamanique à l’arbre. Il y a toute une symbolique autour des ancêtres, des esprits de la nature, de quelque chose de plus grand, qui serait de l’ordre de l’énergie générale du monde, peut-être la puissance de vie des éléments à travers laquelle on se rend compte que l’homme n’est qu’un passager sur Terre. C’est aussi ça que je trouve beau, plus que la réalité d’une réincarnation, d’une voix ou d’un contact.