De
conscience
à
conscience,
au-delà
du
handicap
?

Une communication de conscience à conscience, qui transcende les limites du handicap, est-elle possible ? C’est la question que pose ce reportage de Patrice Van Eersel, dans un village bouleversé par l’expérience d’une jeune fille souffrant d’un handicap lourd.
De conscience à conscience, au-delà du handicap ?
Perceptions
Bien avant la naissance de Lucile, Marie Hauser et Gilles Vialard savaient que leur enfant aurait des problèmes. Les échographies laissaient présager le pire. Et le pire se confirma : le 23 septembre 1996, la petite naquit microcéphale et quasiment aveugle. Les médecins prédirent qu’elle ne pourrait jamais communiquer avec autrui, vouée à une vie végétative. Les premiers temps, malgré leur angoisse, les parents de la nouveau-née réussirent à l’aimer autant qu’ils avaient aimé Maxime, leur aîné. Mais quand le bébé commença à grandir, ou plutôt à ne pas grandir, mais à se tordre de douleur et à crier, agité de soubresauts incompréhensibles, les malheureux crurent sombrer en enfer. Marie se sentait coupable, Gilles impuissant et Maxime abandonné. Pour ne pas devenir folle, Marie s’efforça d’entrer en fusion avec son enfant – tâchant de ressentir ses souffrances dans son propre corps. Elle entama aussi une thérapie transgénérationnelle qui lui fit du bien. Mais au bout de cinq ans, le désespoir semblait total. L’idée de placer Lucile dans une institution d’où elle ne sortirait jamais leur paraissait aussi insupportable que de poursuivre cette existence. Personne n’aurait parié lourd sur la durée de ce couple, ni sur sa santé mentale. Marie et Gilles étaient sur le point de se séparer, quand ils entendirent parler de la « communication facilitée ». En quelques mois, leur vie allait se métamorphoser…

Quand j’en parle avec eux onze ans plus tard, à l’été 2012, ils me disent des choses aussi incroyables que : « Nous ne regrettons pas que Lucile soit née ainsi. Elle nous a fait tellement grandir ! Sans elle, jamais nous n’aurions fait un pareil chemin vers la conscience. » Quant à Lucile, que je rencontre pour la seconde fois, elle m’accueille en disant : « Bonjour, je suis à la fois heureuse et intimidée de vous revoir. Et très impatiente de répondre à toutes vos questions. »

Pourtant, microcéphale, Lucile l’est et le sera toujours, à peu près incapable de prononcer un mot. Comment peut-elle donc me dire ça ?

Par l’intermédiaire d’un ordinateur. C’est Anne-Caroline, son accompagnatrice du jour, qui tape sur le clavier. Mais tout le monde est convaincu que c’est Lucile, jeune fille toute fragile, assise dans un fauteuil roulant, criant et parcourue de spasmes, qui s’exprime ainsi, et ajoute par exemple : « Microcéphale, j’ai été obligée de prendre appui dans mon coeur. Si ce que j’explore peut vous aider, je veux bien le partager. Cette danse est à la portée de tous. Mais beaucoup ne savent pas que le toucher peut dépasser le corps. »

Comment est-ce pensable ? De quoi parle-t-on ? Ne nage-t-on pas en plein délire ?


Aux antipodes


La première fois que j’ai entendu parler de cette méthode, c’était en 1996 – l’année de naissance de Lucile –, quand est paru dans la fameuse collection Réponses de Robert Laffont Je choisis ta main pour parler, d’une orthophoniste parisienne, Anne-Marguerite Vexiau. Une spécialiste connue, qui avait déjà soigné des centaines d’enfants handicapés en utilisant la technique mise au point, dans les années 70, par une pédagogue australienne du St Nicholas Hospital de Melbourne, Rosemary Crossley, docteure en philosophie, éducatrice et directrice du Dignity Education Language Center. J’ignorais que cette Australienne était déjà mondialement connue (portée aux nues ou éreintée) pour avoir mis au point ce qu’elle avait baptisé « Communication alternative augmentée » – ou plus simplement « Communication facilitée » (CF). Selon elle, et selon les milliers de thérapeutes qu’elle avait formés, la CF permettait à des personnes emprisonnées dans le silence d’un handicap rédhibitoire (des autistes notamment) d’entrer en contact avec le monde et de s’exprimer.

Selon Rosemary Crossley, tout serait parti d’une découverte fortuite. Un jour, raconte-t-elle, alors qu’elle cherchait à perfectionner la technique de communication classique, où l’on montre au patient muet différents pictogrammes sur un tableau désignant ses besoins de base (« Pipi », « Ça me gratte », « J’ai soif », etc.), elle se sentit soudain poussée par la main de l’enfant autiste, que, par affection, elle tenait dans la sienne. Cette impulsion se répéta. Intriguée, la pédagogue explora le phénomène avec d’autres enfants. Elle découvrit que, quand elle faisait le vide dans son esprit et se mettait « en résonance » avec son patient, la main de ce dernier, tenue par elle, se tendait vers certains dessins. Mieux, vers certains mots… qui s’agençaient en phrases sensées. Et pertinentes pour l’enfant concerné, délivrant des informations précieuses sur son état physique, émotionnel, mental.

En quelques années se dégagea une hypothèse extraordinaire. Une communication semblait vouloir s’établir entre les petits patients et leur thérapeute, sous la forme de phrases improbables mais justes. De qui venaient ces phrases ? De Rosemary Crossley elle-même ? Mais elle était la première stupéfaite, car ces mots disaient des choses qu’elle ignorait – souvent de façon raffinée – et prenaient sens quand on les rapportait à l’histoire du patient, quand bien même celui-ci se trouvait l’esprit « ailleurs », agité de soubresauts. Par exemple : « Je ne peux vous dire encore ce que je dois devenir, mais si on souhaite que je devienne quelque chose, ça me bloque. » Ou : « Je voudrais ne pas dire mes souffrances à mes parents, c’est folie de dire où j’ai mal, car votre coeur a tant saigné, j’en frémis. »

Ou encore : « Le bébé de Patrick est en train de naître, il ne sait pas s’il doit respirer pour vivre, je pars l’aider. » (...)

L'accès à l'intégralité de l'article est réservé aux abonnés « Inexploré digital »

À
propos

auteur

  • Patrice van Eersel

    Journaliste et auteur
    Né en 1949 au Maroc, où il a vécu jusqu’à l’âge de 17 ans, Patrice van Eersel a fait partie des journalistes fondateurs du quotidien Libération (1973-74). Il a ensuite été grand reporter au mensuel Actuel (1975-1992), avant de prendre la rédaction en chef des magazines Nouvelles Clés, puis CLÉS, et la direction de la collection éponyme aux éditions Albin Michel (1993-2021). Marié, père de quatre enfants et grand-père de sept petits-enfants, pratiquant de Shintaïdo, il est très intéressé par les ...
flower

Les
articles
similaires

  • Yule, Imbolc et Ostara, trois fêtes qui honorent la Terre
    Savoirs ancestraux

    Hérités des fêtes celtes, célébrés pendant des millénaires et transformés en fêtes chrétiennes par l’Église catholique, les sabbats Yule, Imbolc et Ostara connaissent un renouveau païen.

    15 décembre 2022

    Yule, Imbolc et Ostara, trois fêtes qui honorent la Terre

    Lire l'article
  • Templiers d’Arville : les communautés d’autrefois
    Art de vivre

    Au Moyen Âge, les communautés templières étaient très nombreuses en France, on en a dénombré jusqu’à 1 200. Organisées comme des petits villages autonomes, il n’en reste aujourd’hui que de rares exemples, dont Arville.

    10 mai 2022

    Templiers d’Arville : les communautés d’autrefois

    Lire l'article
  • Françoise Hardy : « De l’Amour fou à l’Amour vrai »
    Art de vivre

    La célèbre chanteuse française nous parle de ses expériences transformatrices, et des enseignements qu’elle en a reçu au sujet de l’amour.

    28 janvier 2016

    Françoise Hardy : « De l’Amour fou à l’Amour vrai »

    Lire l'article
  • Le terreau de notre évolution
    Santé corps-esprit

    Souvent source de nos maux, vécue comme une fatalité, la famille serait en fait l’opportunité pour nous de dénouer de nombreux nœuds et de prendre conscience de notre mission de vie. Et si nous changions notre regard pour être dans l’acceptation ...

    24 janvier 2021

    Le terreau de notre évolution

    Lire l'article
  • La psychogénéalogie vue par Ancelin Schützenberger
    Santé corps-esprit

    Tristesse, dépression, accidents, parfois l’origine de nos problèmes et de nos maux trouvent leur origine dans notre histoire familiale, faite de non-dits, secrets, deuils non digérés. La psychogénéalogie, terme inventé par Anne Ancelin Schützenberger, psychothérapeute, permet de mettre en lumière ...

    22 septembre 2012

    La psychogénéalogie vue par Ancelin Schützenberger

    Lire l'article
  • Écrire pour mieux savoir qui je suis
    Art de vivre

    Alors que nos doigts glissent sur le clavier plus souvent que sur le papier, l’art ancestral de l’écriture continue de révéler notre identité profonde. Entre graphologie et thérapie, peut-il devenir un outil essentiel pour explorer notre psyché et transformer nos ...

    29 janvier 2025

    Écrire pour mieux savoir qui je suis

    Lire l'article
  • Moody : « Il y a une vie après la vie »
    Au-delà

    Dans un nouveau livre d’entretiens avec le journaliste Paul Perry, le Dʳ Raymond Moody se confie sur l’ensemble de son parcours professionnel, intellectuel et personnel. Il raconte comment sa position a évolué depuis un scepticisme philosophique rigoureux, jusqu’à l’acceptation de ...

    20 septembre 2018

    Moody : « Il y a une vie après la vie »

    Lire l'article
  • Karma, mais qui es-tu ?
    Savoirs ancestraux

    Importé des spiritualités asiatiques, le karma est une notion souvent mal comprise des Occidentaux. Destin, fatalité ou encore outil de transformation, qu’en est-il vraiment ? Il faut revenir à l’origine du terme pour l’éclaircir.

    21 décembre 2023

    Karma, mais qui es-tu ?

    Lire l'article
Voir tous les articles

Écoutez
nos podcasts

Écoutez les dossiers audio d’Inexploré mag. et prolongez nos enquêtes avec des entretiens audio.

Écoutez
background image background image
L’INREES utilise des cookies nécessaires au bon fonctionnement technique du site internet. Ces cookies sont indispensables pour permettre la connexion à votre compte, optimiser votre navigation et sécuriser les processus de commande. L’INREES n’utilise pas de cookies paramétrables. En cliquant sur ‘accepter’ vous acceptez ces cookies strictement nécessaires à une expérience de navigation sur notre site. [En savoir plus] [Accepter] [Refuser]