Avez-vous déjà essayé de prier ? Messes, laudes, vêpres, chant, écrits… Qu’elles soient personnelles ou collectives, les prières sont protéiformes, selon les cultures et les croyances. Mais une dimension les relie toutes : nées du silence, elles connectent à plus grand que soi, au divin. Retour sur une pratique ancestrale, qui transmute l’instant profane en instant sacré.
Art de vivre
Arina Krasnikova
Dans un monde globalement consumériste et bruyant, où les lettres d’amour relèvent de l’exception lumineuse, le calme devient une denrée rare. Comme cet instituteur qui, devant une classe agitée, demande aux enfants de se calmer pour leur faire entendre un son précieux. Les élèves se taisent et le maître demande : « Vous entendez, maintenant ? » Les enfants se regardent, étonnés. Non, ils n’entendent rien. Alors l’instit ajoute : « Ce que vous entendez là, c’est le silence. »
Prier, c’est un peu la même chose. C’est faire le silence en soi comme on recherche l’or de l’esprit. C’est plonger au sein de son intimité pour se connecter amoureusement à l’Autre – avec un A majuscule et céleste. L’Autre qui sait entendre et comprendre. L’Autre qui sait clarifier, prévenir, consoler, inventer des solutions nouvelles. « Parle, Seigneur, ton serviteur écoute », dit au Dieu testamentaire le prophète Samuel, qui élève son âme en priant. « Depuis qu’avec le langage l’homme est né, d’une rive du monde à l’autre, toutes les cultures portent à notre oreille l’immense rumeur des prières multiformes », souligne Antoine Vergote, co-auteur du livre La prière du chrétien (Presses de l’Université Saint-Louis).
Et d’énumérer ainsi la typologie sacrée : « prières de détresse ou de joie, prières qui respirent sur le rythme infini du souffle, prières chantées en cantates à plusieurs voix, prières silencieuses et prières qui attestent et proclament, prières sculptées dans le marbre, façonnées dans la glaise ou taillées dans le bois, prières croyantes et prières qui sont un envoi à un destinataire sans nom ». Jusqu’à Christophe Maé qui, dans sa chanson Je veux du bonheur, demande à « croiser l’amour à tous les carrefours » et à se « baigner dans des rivières de prières ».
Du silence naquit la prière
Au début était le Verbe. Et le Verbe était prière. L’étymologie du mot renvoie à la précarité. Précaire vient du latin precarius qui peut se traduire par « qui s’obtient par la prière ». Ce qui peut s’obtenir par la prière suppose donc une précarité, une fragilité de la part de celui qui demande. L’homme qui prie est celui qui, conscient de sa fragilité, s’adresse à plus solide que lui pour demander une grâce, un don du Ciel. Attention pourtant…
« Il ne s’agit pas de prier parce que cela sert à quelque chose », explique un prêtre sur le site Cybercuré piloté par Ludovic Serre, curé basé à Chaville dans les Hauts-de-Seine. La prière est d’abord une démarche gratuite. Elle est recherche d’une relation avec Dieu. Cependant, la prière peut nous apporter beaucoup : elle nous donne la paix intérieure, une détente et des forces pour vivre, elle nous met dans une attitude de confiance. On y puise réconfort et espérance. Un véritable bien-être en somme, plutôt qu’un improbable gain à la Française des jeux.
« On peut découvrir la nécessité de la prière pour aimer vraiment son prochain », souligne encore un responsable de Cybercuré. « Sans ce contact avec Dieu, notre service des autres peut devenir une activité extérieure qui a perdu son esprit. Sans la prière, l’action risque de dégénérer en agitation. La prière change aussi la qualité de notre relation avec ceux pour qui nous nous dévouons. » La prière, comme un art de vivre et d’aimer son prochain.
« Quand on aime, on voudrait parler sans cesse à l’être qu’on aime, ou au moins le regarder sans cesse », soulignait Charles de Foucauld, officier de cavalerie français devenu un lumineux prêtre voyageur basé à Beni-Abbes, dans la beauté géométrique du Sahara algérien, creusé par des dunes vibrantes et dessinées comme des poitrines chatoyantes où j’ai eu la chance de dormir un peu. Avant de terminer tragiquement sa vie à 58 ans, assassiné en 1916 à Tamanrasset, une autre ville du Sahara, Charles de Foucauld disait aussi : « La prière n’est pas autre chose : l’entretien familier avec notre Bien-Aimé : on le regarde, on Lui dit qu’on L’aime, on jouit d’être à ses pieds. » Aimer Dieu en priant et l’entendre nous aimer à pas de félins, pas feutrés.
« La prière est le plus grand rempart de l’âme », résumait Saint Augustin. Prier, c’est voir le monde autrement pour y danser en paix, plutôt que sur un volcan. C’est aussi Marc Seberg, groupe inégalé issu de la scène rennaise, qui chante Recueillement de Baudelaire comme on prie dans le monde du rock. « La prière nous permet aussi de prendre une distance par rapport à nos problèmes et à les voir avec un autre regard », souligne un des responsables du site Cybercuré. « Elle nous aide à nous recentrer sur l’essentiel, à ne pas nous laisser enliser par ce que nous faisons et à voir plus clair en nous. Le recueillement est nécessaire à la qualité de la vie humaine. La prière débouche sur un regard lucide et profond sur le sens de notre vie. »
Le sentiment religieux est-il propre à l’homme ?
Prier suppose un effort de concentration, une vraie disponibilité au temps présent. Chasser les pensées parasites et les idées hameçons – celles qui distraient inutilement – et prier lentement donc, intensément, consciemment, comme on fait bien l’amour. Prier implique d’ailleurs les mêmes zones cérébrales que l’activité sexuelle. C’est la conclusion d’une étude menée auprès de fervents mormons par l’université de l’Utah aux États-Unis et publiée dans la revue Social Neuroscience.
« Comme la drogue, le sexe, la musique, la nourriture ou encore les jeux d’argent, les sentiments religieux activent les zones cérébrales impliquées dans le circuit de la récompense », explique Hugo Jalinière dans un article de Sciences et avenir. La prière entre ainsi dans le circuit de la récompense, comme une émanation essentielle du sentiment religieux. Nous tenons ici peut-être, avec la maîtrise du feu, le langage articulé, la pratique artistique, l’écriture, le rire, le potentiel intellectuel et la création de l’intelligence artificielle, l’une des distinctions fondamentales entre l’être humain et l’animal. Prier est bien le propre de l’homme.
Autre fait épastrouillant, la prière régulière réduirait de 50 % le risque de souffrir de la maladie d’Alzheimer chez les femmes – ou d’être victimes de pertes de mémoire et de démence légères – selon une étude menée conjointement en Israël et aux États-Unis avec un financement de l’Institut national de la santé américain, et relayée dans un article de la rubrique santé du Figaro.
Les femmes concernées, âgées de plus de 65 ans, étaient des musulmanes qui priaient cinq fois par jour – selon la coutume coranique – que l’on a comparées à un groupe de femmes ne priant que de façon irrégulière. « La prière est une coutume qui nécessite un investissement de la pensée, c’est sans doute l’activité intellectuelle liée à la prière qui pourrait constituer un facteur de protection ralentissant le développement de la maladie d’Alzheimer », précisait alors le Pr Rivka Inzelberg ayant supervisé l’enquête, de la faculté de médecine de Tel-Aviv.
Messes, chant, art… à chacun sa façon de prier !
Nombreux sont les supports de la prière. Psaumes de l’Ancien Testament, paroles du Nouveau et autres textes, judaïques, chrétiens, coraniques, œcuméniques, prières de saintes et de saints et autres reines et rois encore de la spiritualité dans la richesse de toutes les traditions, pourvu qu’elles érigent l’amour en clé de vie. Comment dès lors se tourner vers une pratique qui nous ressemble ? « Si vous ne trouvez pas une prière qui vous convienne, inventez-la », disait encore Saint Augustin.
Pourquoi ne pas commencer par une initiation à la prière en participant aux laudes – prières du matin – ou aux vêpres – prières du soir – dans une église proche, en semaine, avec un prêtre qui sait bien évidemment impulser, diriger. Ou, tout simplement, par des messes dominicales. On peut aussi commencer par lire différentes prières. Identifier celles qui nous touchent particulièrement. Prendre le temps de les comprendre, de les intérioriser. Les penser, les chuchoter, les chanter, les jouer dans un théâtre intelligent. Prendre un stylo, un clavier, un instrument, un pinceau, jusqu’au timbre de sa voix. Prendre son souffle et prier avec ses mots, ses gestes, ses mélodies, son art.
Prier comme Ivanice Pires Tanoné, cheffe de tribu du peuple karirí-xocó dans la région du Nordeste au Brésil, qui prie pour protéger les arbres et la beauté de la création : « Ceux qui n’ont pas de conscience spirituelle viennent et détruisent les arbres sans ressentir aucune peine, ils sont sans amour, sans respect, sans rien. Alors nous chantons et nous dansons pour demander au Grand Esprit qu’il touche leur cœur, pour qu’ils arrêtent de commettre tant d’erreurs », explique-t-elle dans un beau livre de Sabah Rahmani sur les peuples racines*.
Allumer une bougie. Avoir aménagé chez soi un joli lieu de prière. Ne pas rabâcher, surtout. Prier le Verbe à la source de la vie, cette lumière unique par laquelle nous voyons la lumière. Ne pas fuir sa part d’ombre. Prier avec son passé, son identité rédemptrice, sa substance singulière. Prier du fond de sa fragilité, de sa douleur unique et de son incertitude pour clarifier, simplifier sa vie. Prier pour entrer dans le plan divin. Prier dans la beauté de la création. Essayer de répondre en sifflant à un oiseau, malin comme dans une chanson de Souchon et Voulzy. Pour y croire, il s’agit d’essayer au moins.
Prier seul et en assemblée, partager la paix en union de prière. Prier pour la guérison, le bien-être ou la consolation d’un autre. Élever nos âmes en prière universelle, pour que le monde s’illumine et s’adoucisse. Prier c’est pénétrer, au fond, les plus belles dimensions du réel.
« J’aime prier tout au long de la journée », explique Gilles Pluyette, responsable, avec son épouse Clarisse, de l’aumônerie Saint Jean Bosco à Richebourg, mystérieux village des Yvelines où Édith Piaf aimait se détendre. « Quand je vois mes enfants, ma femme, ou lorsque je contemple la campagne et la puissance de la création, précise-t-il, alors je rends grâce. Je remercie le Christ pour la beauté de ce que je vois. Je prie aussi avec le livre Prière du temps présent qui propose une liturgie des heures : des hymnes, des psaumes, des cantiques et des paroles divines selon le jour et l’heure où l’on prie. D’un mois à l’autre, selon mes humeurs et les épreuves que je traverse, je relis un texte et je peux y trouver une interprétation nouvelle. Prier vrai, c’est dialoguer avec Dieu. Cela change mon humeur et s’il m’arrive une tuile, je demande au Seigneur de m’aider. Et voilà qu’il m’aide. C’est aussi simple que ça. Plutôt que de me plaindre ou broyer du noir, prier me rend serein, et mes idées troubles disparaissent. Prier c’est faire un avec Dieu et rechercher l’unité dans toutes les situations de ma vie. »
Prier enfin, c’est vivre autrement. C’est émettre, en fréquence universelle, des ondes qui se passent volontiers d’écran. C’est faire naître et briller une étoile en plein cœur. Un souffle de vie, un silence habité, une mélodie structurante, un pont vers le ciel.
* Paroles des peuples racines (Plaidoyer pour la Terre) de Sabah Rahmani (Actes Sud)
Ancien reporter social à Libération, je suis devenu un journaliste indépendant passionné par la presse écrite. Un rêve d'enfant au compteur numérique puisque j'ai voulu très jeune exercer ce métier. Une jolie profession en pleine effervescence qui permet de voyager aussi bien dans la géographie du monde que dans ses sphères sociales et spirituelles. Je suis aussi chanteur, guitariste et karatéka, pour rester à l'équilibre de ma performance spirituelle et physiologique. Je suis ravi de collaborer ...
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